Dans les loges du Hadra Trance Festival

Dans les loges, c’est une série d’interviews (écrites) avec des acteurs de l’événementiel psytrance français sur leurs débuts, leurs embûches, leurs victoires…

Si tu te lance dans l’organisation d’événements que ce soit en club ou en open air, c’est fait pour toi !

 

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Interview avec Émilie, directrice de l’asso Hadra.

Triangle : Bonjour Émilie, première question simple, nous voulons en savoir un peu plus sur toi et tes actions au sein du Hadra

Émilie, je suis directrice depuis novembre 2019 de l’asso Hadra, de la totalité des actions et du festival. Aujourd’hui je gère la coordination des équipes et des projets qu’on lance avec l’asso. Je m’occupe autant de la gestion RH et management des équipes bénévoles, salariés, intermittents, que de la partie de développement de projets, évènements, rencontres partenaires, festival et enfin du volet administratif, subvention.
 
Je m’occupe un peu de tout sauf du volet financier.

Triangle : Quand et comment est né le Hadra ? Peux-tu présenter l’histoire de l’asso ?

L’association est née en sept 2001, à Grenoble et créée par 3 passionnés de psytrance qui ont beaucoup voyagé et qui écoutent de la psytrance depuis ses débuts. Ils ont été notamment à un festival en Zambie qui a changé leur vie et en revenant à Grenoble ils se sont dit que c’est ce qu’ils voulaient faire.

 

Ils ont donc créé cette association en 2001 qui existe encore sous le nom de Hadra et avec le même objectif : promouvoir et faire reconnaître les musiques électronique psuchédélique. Au fur et à mesure le projet s’est développé avec des événements à petite jauge mais toujours en toute légalité. Dès le début ils avaient la volonté de répondre au cadre législatif français, en aillant des autorisations, en prévoyant la sécurité.

 

Puis en 2005 le festival dans les hautes alpes a lancé l’asso et s’en est suivi les autres volets d’activité, en plus des évènements et du festival. Nous avons des artistes qui ont envie de pratiquer et d’être accompagnés d’où l’idée de créer un label pour pouvoir les suivre dans leur compos, leur sorties et les manager.

 

Puis TRANSMISSION s’est créé peu de temps après pour accompagner les gens qui avaient envie d’apprendre à faire de la musique électronique : DJ, MAO et l’aspect scénographie aussi : décor, vidéo, comment créer la scéno d’un événement. Depuis la création de ces pôles, il y a eu un long chemin plein de belles expériences et embuches que peut vivre une asso.

Triangle : Donc TRANSMISSION, c’est le pôle cours et formations ?

Oui c’est l’aspect formation, ateliers ouverts à tous et pas uniquement pour le publique psytrance d’ailleurs : pour les publics en situation de handicap, les projets de MJC, les centres sociaux… L’idée est de démocratiser la pratique des musiques électro, de les rendre accessibles au plus grand nombre et en conséquence de les faire connaître.

Triangle : Et avec toute cette partie scénographie liée également ?

Pour nous c’est hyper difficile et même impossible de faire une soirée avec juste du son, ça ne représente pas l’univers psytrance. On est né avec cette envie d’avoir un concept immersif dès le début donc la déco et la vidéo font partie intégrante du projet de base. Donc oui nous accompagnons également sur cette partie.

Triangle : Comment se structure l’asso aujourd’hui ?

Maintenant nous sommes 6 salariés permanents en CDI, il y a 10 membres du conseil d’administrations avec des bénévoles qui donnent de leur temps pour faire avancer les projets de l’asso et qui sont investis au quotidien dans la structure. Ensuite l’équipe s’agrandit au fur et à mesure des évènements, des projets notamment du festival.
 
Plus on s’approche de la date, plus il y a de personnes qui gravitent autour du projet Hadra et qui s’activent. Pour ce festival on a une trentaine de personnes intermittentes qui donnent un coup de main sur des postes techniques : responsables bénévoles, production artiste, le spectre large du spectacle vivant…

 

Sinon, nous avons une vie associative hyper riche, on a des bénévoles investis, qui filent uncoup de main sur des projets, des soirées et aussi des commissions car nous sommes structuré en commission, avec des mini instances pendant lesquelles les bénévoles, les salariés, les artistes sont ensemble pour faire avancer des projets communs. On compte à ce moment-là une vingtaine de personnes.
 
Après s’ajoutent tous les bénévoles sur le festival et là on parle de 600 personnes, les personnes de l’ombre qu’on ne voit pas forcément mais qui sont des personnes clés car sans eux il n’y aurait pas ce festival.

Triangle : Avant de parler des belles “victoires” de l’asso, quelles sont les embûches que vous avez pu rencontrer sur vos premiers évènements. Et comment les avez-vous résolu ?

Je vais parler de celles que je connais, celles d’à partir de 2010, l’année de mon arrivée dans l’asso.

 

La première embûche c’est à Lans-en-Vercors, festival en haut des montagnes pendant lequel nous avons eu de la neige en plein mois d’Août ! C’est très problématique, car l’ouverture du festival s’est faite avec un grand soleil sous 25 degrés et dans la nuit on a perdu 20 degrés.

 

Nous avons appris à faire un festival dans l’urgence et sous la neige du coup. Avec le recul c’était assez drôle mais assez difficile en termes d’organisation. Il y a pleins de choses qu’on ne referait pas et qu’on anticiperait bien mieux. Cette expérience nous à permis de nous professionnaliser davantage et d’avancer dans la pratique donc c’est tout autant perturbant sur le moment que formateur.

 

La seconde embûche ça restera le départ de Lans-en-Vercors. Après 4-5 éditions il y a eu des élections municipales qui ont élu un nouveau maire dans la commune qui n’était du tout pour Hadra et qui a noté dans son programme électoral que, s’ il était élu, Hadra ne serait plus à Lans-en-Vercors.

 

Quand nous avons appris que nous n’étions plus les bienvenus, ç’a été un gros coup car ça marquait la fin d’un festival dans la région à côté de grenoble, là où il y a nos bureaux et nos équipes, là où on a grandi toutes ces années. Par ailleurs, à notre dernière édition on a fait plus de 15 000 personnes, ça été le summum du festival. D’ailleurs on a pas fait plus gros depuis 2014. Et puis nous avons trouvé une terre dans l’Allier, au lac de Vieure, qu’on est très content d’investir depuis 2016.

Triangle : Donc vous avez mis 1 an pour retrouver un terrain ?

Oui ça a été compliqué, une partie de l’équipe était en chômage partiel parce que le modèle économique de l’asso, même encore aujourd’hui, est fragile. S’il il n’y a pas de festival, la plupart des salariés et des frais fixes ne sont pas payé et même si on essaie de sortir de ce modèle en mettant en place des activitées qui s’autofinance, le festival finance quand même une grosse partie de ces charges.

 

Quand on a été viré de l’ancien site ça a été dure moralement, on se disait qu’on allait devoir tout recommencer car quand tu maitrise un site, c’est facile, les équipes ont leurs habitudes, il y a une implantation, ça roule tout seul et là il a fallu chercher un site avec toutes les contraintes d’un site de festival à savoir peu d’habitation autour, des voies pompiers, un accès à l’eau, l’électricité…
 
En plus de ces contraintes-là, tu as également la politique, on a pu trouver des sites merveilleux mais si la commune ne veut pas de toi, impossible de t’y installer. On a donc fait pratiquement 1 an de visite de sites, sur google earth à chercher tout les petits endroits. On a même été jusqu’en Lorraine pour visiter un site. Au départ on voulait rester en Isère mais on s’est dit qu’on y arriverait pas si on se mettait trop de contraintes.

Triangle : Comment faites-vous vos recherches, uniquement sur google earth ou vous vous déplacez pour visiter ?

En fait c’était un peu tout ça. Dans un premier temps on a regardé sur des sites qu’on nous a recommandé, on à fait un appel en expliquant que nous cherchons un site de festival, qui veut nous accueillir etc. Entre la bonne volonté des gens qui nous présentaient des sites et les contraintes d’orga, ça ne marchait pas.

 

Après sur google earth l’idée c’était de regarder tous les sites notamment ceux de station de ski disposant de toutes les infrastructures nécessaires. Les petites stations sont très peu utilisées en été, donc c’était pratique mais finalement soit c’était trop dangereux soit la commune ne voulait pas.

 

Du coup le directeur a envoyé pleins de dossiers de présentation du festival en expliquant qu’on cherchait un lieu. Puis finalement le hasard à fait qu’un des salariés du plan d’eau de Vieure, qui avait été au festival en 2014, a reçu ce document. Il a porté ce dossier à la mairie en précisant qu’il connaissait ce festival. Ensuite nous avons rencontré les gérants de notre nouvelle terre d’accueil.

Triangle : C’est évident de trouver et contacter les 1er prestataires, artistes sur le festival ?

C’est vrai que nous avons de la chance car notre plus ancien prestataire, c’est celui de la sécu qui nous suit depuis les débuts. Nous faisons en sorte de conserver une relation avec les presta, bénévoles… pour les intégrer à l’équipe et faire en sorte qu’ils se sentent bien.
 
L’idée c’est de trouver des prestataires professionnels et cohérents avec nos valeurs, notre image qui ont envie de bosser avec nous.

 

Au début, faire venir des artistes Israélien de psytrance dans les années 2000 c’est sur que c’était compliqué. Mais maintenant avec la démocratisation de la musique électronique et le professionnalisme qui a suivi, c’est devenu bien plus évident. C’est un milieu qui s’est bien professionnalisé ces 20 dernières années.

Triangle : J’imagine que vue le nombre de bénévole ce ne doit pas être évident à gérer

On essaie de faire en sorte que l’orga soit représentée par tout ce monde là. Sans bénévoles, le festival ne pourrait pas se faire et nous avons la chance que des bénévoles reviennent d’années en années. Ils sont investis, motivés et nous faisons tout pour les inclure, faire partie de l’organisation.

 

Sur la partie technique (son, lumière…) on a plein de bénévoles qui en ont fait leur métier. Donc si des personnes ont réussi à trouver leur voie grâce à des expériences bénévoles, comme on pourrait le faire en stage, c’est super pour eux et c’est aussi fait pour ça.
 
Mais oui, gérer 600 personnes, c’est du boulot !

Triangle : Comment avez-vous financé les 1ères soirées ?

C’est toujours un équilibre fragile et précaire. En France, on a des super lois pour protéger les artistes, les prestataires et c’est normal. Il est important de les payer pour la reconnaissance de leur travail mais aussi pour qu’ils puissent déclarer leur presta, se protéger et cela je pense qu’aujourd’hui tout le monde en est conscient.

 

Mais il y a toujours des charges supplémentaires souvent beaucoup plus importantes qu’on ne le pense comme la SACEM, les droits d’auteurs… Il y a beaucoup de charges qui gravitent autour des prestataires.

 

Faire une soirée en club, c’est rapide et demande peu de charges hors prestatires, c’est super pour commencer. Un festival c’est un budget conséquent avec toutes les charges que l’on peut imaginer. Pour donner un ordre d’idée, le Hadra ça représente aujourd’hui 1,2 millions HT. C’est un budget qui a progressé au fil des années. Il faut faire attention lorsque l’on se lance dans un festival, c’est une superbe expérience mais pour moi, il faut y aller progressivement.

 

Commencer par une orga qui soit carré avec des gens de confiance, la ressource humaine suffisante pour le faire. Il ne faut pas oublier qu’un festival c’est une billetterie, une gestion du parking, une gestion des bénévoles, des déclarations, une gestion des prestataires, un camping… Il y a beaucoup de posts auxquels il faut penser.

 

Commencer en club c’est déjà une première expérience puis un petit open air privé pour se faire la main et rencontrer les imprévus, c’est impératif pour moi avant d’attaquer un festival de plus de 1 000 personnes et augmenter petit à petit la jauge.

 

C’est toujours dommage de voir des collectifs qui meurt rapidement en ayant vu un peu trop gros. D’autant qu’avec festival de musique underground comme le Hadra, il ne faut pas s’attendre à ce que ce soit les subventions qui vont sauver le projet.

Triangle : Justement quelles sont les aides, subventions que vous avez réussi à obtenir ?

A l’heure actuelle, nous avons 2 financeurs sur le festival : le CNM (l’Etat) et la SACEM. On est autour de 25 000 € de subventions sur 1,2 millions de coût total du festival. C’est bien, ça reste un budget d’aide mais dans le fond c’est très peu vis à vis du budget total du festival.

 

C’est toujours un combat à mener, Driss, un des fondateurs, s’est battu pour la reconnaissance des musiques électroniques. Et même si on parle de démocratisation, la DRAC (Direction régionale des Affaires culturelles) ne nous finance pas alors que nous cochons toutes les cases mais comme on parle de musique électro, il y a une frontière et les portes se ferment.

 

Ça va avoir tendance à changer car les salariés dans ces organisations changent et les mentalités changent avec, mais ça reste un combat actuel.

Triangle : Aujourd’hui le festival est ce qui finance en grande partie l’asso, y a-t-il d’autres sources ?

On fait effectivement d’autres activités qui s’auto-finance et on fait beaucoup de recherche de subventions sur ces autres activités comme TRANSMISSION ou sur des projets durables, des projets d’accessibilités.

 

Mais effectivement un festival qui tourne bien aide à remplir le pot commun de l’asso pour financer d’autres activités. Le festival ne sert pas qu’à financer le festival. Même si la préparation de ce dernier nous prend 6 mois de travail, il reste 6 mois dans l’année où il y a besoin de finances pour proposer d’autres activités, accompagner nos artistes, promouvoir la culture psychédélique au sens large.

Triangle : Donc le festival prend 6 mois de travail ?

Oui il faut compter environ 6 mois de travail condensé. Ça dépend des postes évidemment mais c’est à peu près ça.

Triangle : On a pas mal parlé d'embûches, de difficultés, quelles sont également les grandes victoires de l’asso ?

La grande victoire c’est de réussir à organiser un festival. 20 ans c’est pas mal pour une structure et lorsque l’on voit toutes les difficultés évoquées pour un organiser un festival c’est super de pouvoir continuer l’aventure aussi longtemps. Hadra s’est toujours relevée et a toujours essayé d’innover, d’être en cohérence avec son époque.

 

Cette pérennité est une belle victoire.

 

Et tout ça c’est aussi grâce à nos prestataires, nos bénévoles, nos partenaires et la commune de Vieure qui nous a accueilli à bras ouverts. Il y a beaucoup de haut et de bas dans l’organisation d’un festival donc maintenir tout ça à flot c’est super.

Triangle : Aurais-tu une anecdote amusante à nous raconter ?

Lans-en-Vercors (ancien site) c’est une station de ski à 1300m d’altitude, dans une des éditions on fait le festival, ça se passe bien. Et au moment du démontage, il y a un fermier qui vient nous voir et qui nous dit : 
 
“C’est vous les jeunes qui ont mis de TAGABOOM pendant 4 jours là ?”
 
En fait il n’étais pas au courant du déroulé du festival mais il était content car apparemment la bass à aider ses vaches à mettre bas et à produire du lait.

Triangle : Haha un fromage labellisé Hadra a venir donc ?

Haha pourquoi pas ! Sur 20 ans de toute manière on a beaucoup d’anecdotes, tu imagines.
 
Sur une des premières éditions à Lans-en-Vercors, lors du closing où toute l’orga monte sur scène, on invite le maire et on lui dit “Vas-y met toi derrière les platines”. Il était impressionné et a voulu faire style de toucher les platines mais a mis sur pause…

 

Tout le monde s’est demandé ce qu’il se passait, il a réappuyé et tout le monde est reparti d’un coup, ça l’a beaucoup fait rire donc il s’est amusé à mettre play/pause plusieurs fois haha.

Triangle : Trop drole ! Et bien merci beaucoup Émilie pour toutes ces infos, c’est super intéressant ! On se revois vite en festival !!